une boulangère, bruine persistante, épuisée
Ce jour-là, une bruine enveloppait tout d'une fine couche d'eau. L'atmosphère était grise et maussade. Des journées qui invitaient à la dépression. C'est alors qu'apparut un nouveau visiteur. C'était une femme, dans la force de l'âge. Son tablier était couvert de ce qui semblait être de la farine, transformée en petits amas de pâtes par l'eau présente dans l'air. Elle était peut-être boulangère. Son visage et ses cheveux trempés lui donnaient un air las. Elle s'assit lourdement au comptoir et poussa un long soupir de soulagement.
Thé «gumboot»
Je commençai la préparation de mon thé «gumboot» et lui demandai si elle avait pu terminer tout ce qu'elle souhaitait.
« Pas du tout, me répondit-elle. J'avais une famille à élever, un commerce à tenir et à laisser à mes enfants. Vous savez, j'étais seule. Mon mari, cet idiot d'ivrogne, est tombé dans la mer un soir de beuverie. Il n'est jamais remonté. J'ai élevé mes enfants seule depuis... mais ils sont encore trop jeunes.»
Je lui servis alors le thé et elle commença à boire. La fatigue, qui se lisait sur son visage depuis qu'elle était arrivée, se fit plus discrète et la boulangère se redressa.
« Il semble que vous connaissiez le messager qui est passé l'autre jour ? lançai-je.
— Un jeune messager dites-vous ? Il s'agissait sans doute de mon jeune frère. Il était venu nous rendre visite avant de repartir pour la capitale. On m'a dit qu'il avait disparu dans une forêt sinistre. Je l'ai pleuré, vous savez ! Mais seulement le soir, seule dans ma chambre, quand les enfants étaient au lit. »
Elle continua de siroter son thé, semblant repousser le moment de partir.
« Avez-vous peur ? lui demandai-je.
— Pas vraiment, dit-elle. Mais j'aurais aimé guider mes enfants encore un peu. La vie n'est pas simple pour nous autres. Ils sont encore si jeunes... Mais je sais que ma sœur prendra soin d'eux. Elle est bonne et son mari est à la tête d'une petite flotte de trois bateaux de pêche. Ils s'en sortiront ! finit-elle sans que je sache de qui elle parlait.
— Sans doute. »
Elle hocha la tête, termina son thé, me remercia et se dirigea vers la porte. Quand elle franchit le seuil, elle semblait plus déterminée à poursuivre sa route avec un peu moins de regrets qu'en arrivant dans mon échoppe.
#thelastteashopdoux rayons de soleil, calme, messager
C'était un matin agréable. Le jour se levait et de doux rayons de soleil venaient réchauffer une nature encore engourdie par la nuit. Alors que je faisais l'inventaire de mes stocks, un homme entra. Il était jeune et avait une expression affable sur le visage. Ses gestes étaient doux et posés. Il s'installa et je commençai ma préparation.
« Bonjour l'ami, comment s'est passé votre route jusqu'ici ? lui demandai-je.
— J'ai fait route tranquillement, répondit-il. C'est une route paisible ; elle ne demande pas trop d'efforts. Le soleil des derniers jours a asséché le chemin qui courte à travers le marais. »
Thé de la joie
Je notai qu'il ne rejetait pas la discussion et décidai de lui préparer le thé de la joie.
Le jeune homme repris :
« Sur la route, j'ai vu un drôle de spectacle : une magnifique envolée d'oiseaux devant moi. Ce n'était rien, mais je me suis senti extrêmement chanceux. »
Je lui servis le thé et il commença à boire. Aussitôt, son visage s'éclaira et un large sourire s'y installa. Et nous entamâmes une discussion, parlant de tout et de rien en riant. Je lui demandai où il habitait :
« Je vis dans un petit village appelé Gabenir. C'est un village côtier où la plupart des habitants vivent de la pêche et du commerce des produits de la mer avec la capitale. C'est un endroit agréable, le climat est doux. Les enfants jouent partout dans les rues pendant que les parents travaillent dur. En fin de matinée, tout le monde s'installe sur la place et les négociants font leurs achats. »
Notre discussion a continué de longues minutes encore.
Quand il décida de partir, je le raccompagnai jusqu'à l'entrée. Il me salua et son sourire franc et naïf me réchauffa. C'est ainsi que j'aime voir partir mes clients : la mine joyeuse.
Mon échoppe s'appelle : Au thé calme
C'est un endroit parfait pour prendre un instant, arrêter la course folle du temps et se reconnecter au présent. C'est là que se déroule mon histoire.
L'ile de Styr est un lieu plutôt marécageux. Je me suis installé sur une zone sèche couverte de fougères. À l'arrière, au loin, on peut apercevoir l'orée d'une forêt dense et profonde. J'aime m'installer sur le petit balcon et m'imprégner des odeurs et des bruits du marais.
Mon échoppe est faite de bois, prélevé dans la forêt au loin. Le toit est composé de fougères séchées et tressées finement. On y entre par une porte simple abritée par le toit. L'intérieur est sobre : un simple comptoir sur lequel les visiteurs boivent leur thé. Ce comptoir peut inviter à la discussion ou, au contraire, accompagner le silence et la méditation.
Quant à moi, je suis un humble tenancier. Je tiens ce commerce depuis peu et j'y ai mis une grande part de mon âme. Mais cette aventure m'emmena sur une voie inattendue. Je n'ai pas souvent des clients. C'est même trop peu pour être rentable. Il n'est pas rare que je passe la journée sans voir personne. Il faut bien admettre que l'ile de Styr n'est pas un lieu qui attire, mais ici, on peut contempler son esprit. C'est ce dont j'avais besoin et c'est aussi ce dont ont besoin mes clients.
Cette histoire se déroule donc sur une ile, dans une échoppe de thé, la dernière échoppe avant...